Cas de tutelle ou curatelle : qui décide de l’intervention ?
Lorsqu’un proche devient vulnérable en raison de l’âge, d’une maladie ou d’un handicap, il peut arriver que des décisions importantes doivent être prises pour sa protection juridique. C’est souvent à ce moment-là que des mots comme tutelle ou curatelle surgissent, sans que l’on sache réellement ce qu’ils impliquent. Qui décide de leur mise en place ? Qui peut déclencher la procédure ? Quelle est la différence entre les deux ? Et surtout, comment s’assurer que les droits de la personne concernée soient respectés ?
Cet article a été conçu pour aider les familles, les aidants, les professionnels de santé et les citoyens à comprendre, étape par étape, les mécanismes encadrant la tutelle et la curatelle. Nous passerons en revue les acteurs impliqués, le rôle du juge des contentieux de la protection, les situations dans lesquelles ces mesures sont envisagées, les critères légaux, et les conséquences concrètes sur la vie quotidienne. Pas de jargon inutile : juste des explications claires, utiles, et basées sur des sources officielles.
Comprendre la différence entre tutelle et curatelle
Avant de savoir qui décide de l’intervention, il faut bien distinguer ce que sont la tutelle et la curatelle. Ces deux régimes de protection juridique ne sont pas interchangeables. Ils sont définis dans le Code civil (articles 440 à 476) et visent à protéger une personne majeure qui n’est plus en capacité de veiller seule à ses intérêts.
La tutelle : une protection forte
La tutelle est la mesure la plus contraignante. Elle est mise en place lorsque la personne n’est plus en état de prendre des décisions par elle-même. Elle perd la capacité d’agir seule dans les actes civils de la vie courante (ouverture de compte bancaire, signature de contrat, gestion de patrimoine).
La personne sous tutelle est représentée en permanence par un tuteur qui agit en son nom. Cette mesure s’applique par exemple dans des cas de démence avancée, de traumatisme crânien grave, ou encore de polyhandicap profond.
La curatelle : un accompagnement à géométrie variable
La curatelle, à l’inverse, est une mesure d’accompagnement. Elle suppose que la personne conserve une part d’autonomie, mais a besoin d’être assistée ou contrôlée pour certains actes, selon le degré de curatelle (simple, renforcée ou aménagée).
Dans une curatelle simple, la personne agit seule pour les actes de la vie courante mais doit être assistée pour des actes plus importants comme un emprunt. Dans une curatelle renforcée, c’est le curateur qui gère les comptes.
Qui peut demander une mise sous tutelle ou curatelle ?
L’initiative ne revient pas nécessairement à un juge ou à un professionnel de santé. En réalité, plusieurs personnes ou institutions peuvent être à l’origine de la demande de mise sous protection :
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La personne concernée elle-même, si elle sent qu’elle a besoin d’aide pour gérer ses affaires.
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Un membre de sa famille (enfant, conjoint, parent…).
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Un proche, même sans lien de parenté.
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Le médecin traitant ou un spécialiste.
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Le procureur de la République.
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Les services sociaux ou une structure d’hébergement (comme un EHPAD).
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Un directeur d’hôpital ou un médecin psychiatre, notamment en cas d’hospitalisation d’office.
Le point commun à toutes ces demandes : elles doivent être motivées par une altération des facultés mentales ou corporelles de nature à empêcher l’expression de la volonté.
Qui décide de la mise en place d’une mesure de protection ?
La décision revient exclusivement au juge des contentieux de la protection, une juridiction spécialisée du tribunal judiciaire. Ce juge est saisi par requête (formulaire Cerfa n°15891*03), accompagnée d’un certificat médical circonstancié rédigé par un médecin inscrit sur une liste officielle.
Le rôle crucial du médecin
Le médecin doit attester d’une altération des facultés mentales ou corporelles de la personne. Ce certificat n’est pas un simple avis médical : il est déterminant pour le juge. Il doit être daté de moins de six mois, circonstancié, et détailler les capacités de la personne à prendre des décisions, à comprendre les enjeux juridiques, à se projeter dans le temps.
La liste des médecins agréés est disponible auprès des tribunaux judiciaires.
L’enquête sociale et l’audition de la personne
Dans la majorité des cas, le juge auditionne la personne concernée, sauf si un avis médical indique que cela n’est pas possible. Le juge peut aussi diligenter une enquête sociale, interroger les proches, et consulter les éléments médicaux ou sociaux du dossier.
Sur quels critères le juge fonde sa décision ?
Le juge ne décide pas selon son intuition. Il fonde sa décision sur trois grands piliers :
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L’altération des facultés mentales ou corporelles
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La nécessité de la mesure pour protéger la personne dans sa vie quotidienne et juridique
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La proportionnalité : le juge choisira toujours la mesure la moins contraignante pour respecter au maximum l’autonomie de la personne.
👉 Le Code civil précise que la mesure doit être proportionnée et individualisée (article 428), et que la liberté de la personne doit primer dès que possible.
Qui est désigné pour exercer la tutelle ou la curatelle ?
Le juge nomme un ou plusieurs protecteurs :
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Un membre de la famille, si possible (souvent un enfant ou le conjoint).
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Un proche de confiance, en dehors de la famille.
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Un professionnel, appelé mandataire judiciaire à la protection des majeurs, si aucun proche n’est disponible.
Le juge peut aussi désigner plusieurs personnes : par exemple un tuteur à la personne et un tuteur aux biens. Il peut prévoir une substitution ou une collaboration.
Quels sont les recours possibles en cas de désaccord ?
Si la personne protégée, sa famille ou le demandeur n’est pas d’accord avec la décision du juge (ou la désignation du tuteur), il est possible de faire appel dans un délai de 15 jours suivant la notification.
L’appel est porté devant la cour d’appel compétente, qui réexaminera le dossier.
Quelle est la durée d’une mesure de tutelle ou curatelle ?
La durée est fixée par le juge, en général pour une période de cinq ans maximum, renouvelable. La mesure peut être :
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Révisée à tout moment, en cas d’évolution de la situation médicale.
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Renforcée ou allégée, selon les besoins (passage de curatelle simple à renforcée ou inversement).
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Levée, si la personne retrouve ses capacités.
D’après l’INSEE, près de 740 000 personnes étaient sous mesure de protection juridique en France en 2020, avec une tendance à la hausse dans les années à venir en raison du vieillissement de la population.
Les conséquences concrètes dans la vie quotidienne
Les mesures de tutelle et de curatelle ont des conséquences immédiates :
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La personne peut perdre le droit de vote, sauf mention contraire du juge.
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Elle ne peut pas se marier, divorcer ou conclure un PACS sans autorisation.
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Elle ne peut pas signer un bail, vendre un bien, gérer un compte bancaire seule.
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Elle peut être limitée dans ses droits civils, professionnels ou financiers.
Mais attention : l’objectif n’est pas de priver, mais de protéger. Le tuteur ou le curateur doit toujours respecter la volonté exprimée de la personne, dans la mesure de ses capacités.
L'importance du respect de la dignité et des droits fondamentaux
Les mesures de protection ne doivent jamais être vécues comme une punition. Elles sont encadrées par des principes fondamentaux :
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Principe de subsidiarité : la mesure doit être le dernier recours.
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Principe de nécessité : elle ne doit être imposée que si elle est justifiée.
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Principe de proportionnalité : adaptée à la situation.
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Principe de respect de la personne : droit à l’information, à l’écoute, au respect de sa vie privée.
Selon l’article 415 du Code civil, toute mesure vise à garantir la protection de la personne et de ses intérêts, dans le respect de ses libertés individuelles.
Alternatives aux mesures judiciaires : le mandat de protection future
Avant d’en arriver à une mesure imposée, la loi permet de prévoir sa propre protection, via un mandat de protection future. Ce document permet de désigner à l’avance une personne de confiance pour prendre des décisions à sa place, si un jour l’on devient incapable.
Ce mandat peut être rédigé devant notaire ou sous seing privé. Il prend effet uniquement si un médecin constate une altération des facultés.
Une décision lourde, mais encadrée
La mise en place d’une tutelle ou d’une curatelle est toujours un moment délicat. Il s’agit d’une décision grave, qui affecte la liberté d’une personne. Mais elle peut aussi être une chance, lorsqu’elle permet de protéger un proche, d’éviter des abus, de sécuriser des biens, de garantir des soins ou une stabilité.
La clé est d’agir avec respect, transparence, et de connaître le cadre légal précis dans lequel cette décision s’inscrit.
Avant toute démarche, n’hésitez pas à vous rapprocher :
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D’un avocat spécialisé en droit des personnes
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D’un point d’accès au droit
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Des services sociaux de votre commune
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D’une maison de justice et du droit
Sources :
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Code civil, articles 415 à 476
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INSEE, statistiques sur la population protégée (2020)
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Ministère de la Justice, justice.fr
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Loi n°2007-308 du 5 mars 2007 réformant la protection juridique des majeurs