Retour sur l’évacuation d’un logement insalubre à Marseille : analyse complète d’un fait divers édifiant
Dans une ville aussi ancienne, dense et complexe que Marseille, les faits divers liés à l’insalubrité des logements ne sont malheureusement pas rares. Pourtant, certains épisodes marquent plus que d’autres. Celui survenu dans le quartier de Belsunce en plein centre-ville, en mai 2024, a frappé les esprits par son caractère extrême : un appartement de 28 m², infesté de nuisibles, jonché de détritus et devenu inhabitable, a dû être évacué en urgence par les autorités municipales. Ce fait divers est l’occasion de revenir en détail sur un phénomène qui dépasse largement le simple cas individuel.
Un logement indigne évacué en urgence : retour sur les faits
L’intervention s’est déroulée au petit matin, dans un immeuble ancien du quartier de Belsunce. Alertés par des voisins excédés par les odeurs pestilentielles et les nuisibles visibles dans les parties communes, les services municipaux accompagnés de la police, des pompiers et d’un médecin légiste se sont rendus sur place. L’appartement, habité par un homme de 67 ans vivant seul, était dans un état de saleté extrême.
Le locataire, souffrant manifestement de troubles psychiatriques non pris en charge, avait accumulé des déchets pendant plusieurs années. Les pièces étaient totalement encombrées : sacs d’ordures, vêtements souillés, objets cassés, restes alimentaires en décomposition. Les murs étaient imprégnés d’humidité, couverts de moisissures et les installations électriques vétustes représentaient un danger immédiat.
Les pompiers ont évacué l’homme, visiblement désorienté, qui a été transféré à l’hôpital dans un service psychiatrique. L’appartement a été condamné sur décision préfectorale, un arrêté de péril imminent ayant été signé dans les heures qui ont suivi.
Comprendre les causes : entre précarité, isolement et troubles de l’accumulation
La misère sociale comme terreau de l’habitat insalubre
Ce type de situation n’est pas simplement le fruit d’un laisser-aller individuel. Il résulte bien souvent d’une combinaison de facteurs économiques, sociaux et psychologiques. Selon les données de l’INSEE (2023), environ 20 % des ménages marseillais vivent sous le seuil de pauvreté, avec une surreprésentation dans les quartiers du centre-ville. L’absence de ressources suffisantes empêche l’entretien du logement, le recours à des services d’assistance ou même l’accès à des soins.
Les troubles de Diogène : une pathologie encore mal connue
Le cas évoqué ici s’inscrit dans ce que l’on nomme communément le syndrome de Diogène. Ce terme désigne un trouble du comportement caractérisé par un déni de l’hygiène, une négligence extrême de soi-même et de son cadre de vie, ainsi qu’une forme d’isolement social profond. Il ne s’agit pas d’un diagnostic officiel reconnu dans tous les systèmes de santé mentale, mais il recouvre une réalité clinique.
Les personnes atteintes peuvent vivre dans une promiscuité insupportable sans en percevoir la gravité. Dans le cas de Marseille, le locataire concerné n’avait plus eu de contact avec ses proches depuis des années, et n’ouvrait plus sa porte ni à son bailleur ni aux services sociaux.
La réaction des institutions : un équilibre délicat entre urgence et respect
La difficile articulation entre assistance et contrainte
L’intervention d’urgence sur ce logement a été saluée par les riverains, mais a aussi soulevé des débats. À quel moment intervenir ? Faut-il attendre l’urgence sanitaire ou anticiper dès les premiers signaux faibles ? Ces questions sont complexes car elles impliquent à la fois le respect du domicile privé, la liberté individuelle et la nécessité d’assurer un minimum d’hygiène collective.
Les services sociaux municipaux ont souvent peu de moyens et beaucoup de dossiers à traiter. Un agent du CCAS de Marseille, sous anonymat, expliquait récemment que de nombreux signalements n’aboutissent pas, faute d’éléments probants ou de coopération du locataire.
Le rôle de la justice et des arrêtés préfectoraux
Dans le cas présent, l’intervention a été possible grâce à un signalement formel des pompiers, et la constatation d’un péril immédiat. La préfecture a pu alors engager une procédure d’urgence, appuyée par la législation sur les logements indignes (Code de la santé publique, art. L.1331-22 et suivants).
Ce type de procédure permet d’ordonner l’évacuation, la désinfection et les travaux nécessaires, tout en protégeant le locataire, qui doit être relogé temporairement si sa responsabilité n’est pas engagée.
L’impact sur les voisins et l’immeuble : un cercle vicieux
Insalubrité : un problème collectif, pas seulement personnel
Ce qui est trop souvent vu comme un problème individuel – un locataire négligent, malade ou marginal – devient rapidement un enjeu collectif. L’immeuble en question à Belsunce avait vu sa réputation chuter, certains propriétaires n’arrivant plus à louer ou vendre leurs biens à cause de l’odeur et des plaintes répétées.
Les rongeurs et les cafards prolifèrent dans tout le bâtiment, affectant la santé des autres occupants. L’humidité se propage. Les copropriétaires doivent alors financer des traitements coûteux, non prévus dans le budget de la résidence.
Des risques réels pour la santé publique
L’insalubrité extrême est également un problème de santé publique. L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire) alerte régulièrement sur les risques associés aux logements encombrés : prolifération bactérienne, présence d’ammoniac, développement de moisissures, foyers allergènes et risques de maladies respiratoires, notamment chez les enfants et les personnes âgées.
Comment prévenir ces situations : entre vigilance, signalement et accompagnement
Le rôle des voisins et du tissu local
Les premiers témoins sont souvent les voisins. Leur vigilance est précieuse, mais leur parole peut parfois être banalisée. Trop de signalements sont classés sans suite. Pour qu’une alerte soit prise en compte, il est essentiel d’apporter des éléments concrets : odeurs persistantes, comportements anormaux, nuisibles visibles, bruits inquiétants.
Certaines associations de quartier jouent un rôle essentiel. À Marseille, des collectifs comme Habitat indigne Marseille ou des associations comme le DAL13 (Droit au logement) accompagnent les habitants dans les procédures de signalement et de médiation.
Les outils à disposition des institutions
Les municipalités disposent de plusieurs outils juridiques et opérationnels : inspection sanitaire, rapport d’hygiène, injonction au propriétaire, mise sous tutelle du logement, intervention coordonnée avec les hôpitaux psychiatriques. Mais cela nécessite des ressources humaines et du temps.
La ville de Marseille a lancé en 2022 un Plan Logement Digne visant à recenser les habitats dégradés et accélérer les interventions. Ce plan reste cependant très dépendant des budgets et des arbitrages politiques.
Que devient le logement après une évacuation ?
Nettoyage, désinfection et remise en état
Dans le cas de l’intervention de mai 2024, l’appartement a été désencombré par une entreprise spécialisée, sous protocole strict. L’intervention a nécessité plusieurs jours, une désinsectisation complète, l’évacuation de plusieurs tonnes de déchets et la neutralisation de l’humidité incrustée dans les murs.
Le logement restera vide pendant plusieurs semaines, en attente d’une expertise technique et d’éventuels travaux de réhabilitation. L’objectif est de le remettre sur le marché sans risques pour les futurs occupants.
La question du relogement et de l’accompagnement du locataire
Quant à l’ancien occupant, il a été placé sous protection juridique. Un juge des tutelles doit désormais évaluer ses capacités, organiser un éventuel curatelle ou mandat de protection future. Si l’état psychique ne permet pas un retour à l’autonomie, un placement en foyer spécialisé pourra être proposé.
La précarité psychique en milieu urbain est un défi encore largement sous-estimé. Le mal-logement est autant une conséquence qu’un symptôme de l’isolement social.
Une vigilance de tous pour une ville plus saine
Le cas de cet appartement insalubre à Marseille ne doit pas être vu comme une simple anomalie ou un fait-divers sordide. Il révèle les défaillances de toute une chaîne : isolement des personnes âgées, saturation des services sociaux, manque de coordination institutionnelle, et difficultés à faire face à des troubles complexes.
Les logements indignes ne sont pas une fatalité. Ils peuvent être détectés, traités et prévenus, à condition d’une mobilisation collective. Pour cela, la parole des habitants doit être écoutée, les alertes prises au sérieux, et les interventions coordonnées, humaines, respectueuses des personnes mais fermes quand l’hygiène publique est en jeu.
Références et sources
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INSEE, Dossier complet commune Marseille – Données 2023
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Code de la santé publique, articles L.1331-22 à L.1331-29
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ANSES, rapport sur les risques sanitaires en logement insalubre, 2022
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Ville de Marseille – Plan Logement Digne 2022
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Observatoire national de la précarité énergétique – Baromètre 2023
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Entretiens anonymes de travailleurs sociaux (CCAS Marseille)