Focus sur les quartiers de Marseille les plus touchés par l’insalubrité cachée
L’insalubrité visible frappe immédiatement : façades délabrées, montées d’escaliers défoncées, odeurs persistantes. Mais une autre réalité, plus discrète, affecte les habitants de certains quartiers marseillais : celle de l’insalubrité cachée. Moisissures invisibles, installations vétustes, plomb, humidité chronique, infestations d’insectes ou de rongeurs qui s’infiltrent derrière les murs... Ce sont des fléaux invisibles qui compromettent la santé et la sécurité des occupants sans toujours susciter d’alerte immédiate.
Cet article propose un tour d’horizon des quartiers les plus affectés à Marseille par cette insalubrité invisible mais bien réelle, à la lumière des données de l’INSEE, des études d’urbanisme, et de témoignages issus d’enquêtes publiques.
Insalubrité cachée : une réalité silencieuse mais destructrice
L’insalubrité cachée ne saute pas aux yeux. Elle se cache dans les détails : derrière une peinture fraîchement appliquée, une infiltration persiste. Dans une cave condamnée, des colonies de rats prolifèrent. Derrière une cloison, des câbles rongés provoquent des départs d’incendie.
Selon une étude de l’INSEE de 2022, près de 13 % des logements marseillais présentaient des signes d’humidité importante, contre une moyenne nationale de 8 %. Ces chiffres sont pourtant bien en dessous de la réalité vécue par les habitants de certains quartiers.
Le centre-ville ancien : Noailles, Belsunce, Thiers, Chapitre
Des immeubles vétustes aux pathologies invisibles
Le centre-ville de Marseille concentre une forte proportion d’immeubles anciens construits avant 1949. Selon l’INSEE, 48 % des logements du 1er arrondissement datent d’avant 1946. Ces bâtiments, mal rénovés ou abandonnés, sont les terrains idéaux de l’insalubrité cachée.
Noailles, tristement célèbre depuis l’effondrement de la rue d’Aubagne en 2018, symbolise cette négligence chronique. Derrière des volets clos, des familles vivent parfois dans des logements sans aération, avec de l’humidité stagnante, des champignons invisibles sur les murs intérieurs, ou encore des installations électriques précaires.
Belsunce et Thiers partagent le même sort : toitures jamais refaites, eaux de pluie qui s’infiltrent lentement et moisissures qui contaminent l’air respiré. Le manque de ventilation naturelle dans ces vieux immeubles favorise la condensation et la prolifération d’acariens et moisissures, cause fréquente d’asthme ou de bronchites chroniques chez les enfants.
Les quartiers nord : Kallisté, La Castellane, La Bricarde, Saint-Antoine
De grands ensembles dégradés aux problèmes structurels profonds
Les quartiers nord de Marseille, bien souvent stigmatisés pour leur insécurité, souffrent tout autant – sinon davantage – d’une insalubrité masquée. Contrairement aux centres anciens, ici ce sont les grands ensembles construits dans les années 60 et 70 qui posent problème.
Les bâtiments de Kallisté, classés en zone de rénovation urbaine prioritaire, souffrent de défauts structurels : ascenseurs à l’arrêt, fuites dans les canalisations qui provoquent des infiltrations dans les murs, isolations défaillantes responsables de fortes pertes thermiques. Les diagnostics de performance énergétique (DPE) y sont souvent classés F ou G.
La Castellane ou La Bricarde, malgré leur image de béton brut, dissimulent aussi de graves problèmes : plaques d’amiante dans les faux plafonds, réseaux électriques jamais remis aux normes, humidité récurrente due à des toits-terrasses poreux.
Ces problèmes sont aggravés par l’absence de syndics actifs et la défaillance des copropriétés en difficulté financière, ce qui empêche toute action rapide ou collective.
Le Panier, Le Vieux-Port, Joliette : des secteurs en mutation, mais encore inégaux
Gentrification en surface, dégradation en profondeur
Le Panier et le Vieux-Port, bien que largement rénovés dans le cadre d’opérations comme Euroméditerranée, présentent encore de nombreuses poches d’habitat ancien mal restauré. Le ravalement de façade donne une impression trompeuse de confort alors que les logements peuvent encore héberger des planchers instables, des infiltrations non traitées, ou des caves infestées.
À Joliette, l’ancien côtoie le moderne. Tandis que de nouvelles résidences sortent de terre, d’autres immeubles anciens laissés de côté abritent encore des logements insalubres, en attente de réhabilitation ou de vente. L’absence de contrôle ou d’inspection rigoureuse laisse des familles vivre dans des logements aux dangers invisibles.
Le 15e et 16e arrondissements : entre déclin et abandon
Le poids de l’histoire industrielle
Historiquement ouvriers, les 15e et 16e arrondissements abritent de nombreux anciens logements de type industriel ou portuaire. À Saint-Louis, Les Crottes, ou encore l’Estaque, des logements construits à l’origine pour une occupation temporaire sont encore habités plusieurs décennies après.
De nombreux bâtiments ont été contaminés par le plomb (avant son interdiction en 1949), et les conduits de gaz vétustes présentent des risques majeurs d’explosion ou d’intoxication. Des études montrent une prévalence de troubles respiratoires chroniques dans ces quartiers, notamment chez les enfants.
Pourquoi ces quartiers restent-ils aussi vulnérables ?
Des causes multiples : pauvreté, manque de contrôle, absence de rénovation
L’une des principales raisons de la persistance de l’insalubrité cachée est la pauvreté. Dans de nombreux quartiers cités, les revenus des habitants sont bien en deçà de la moyenne nationale. Par exemple, dans le 3e arrondissement, selon l’INSEE, près de 47 % des ménages vivent sous le seuil de pauvreté.
Cela réduit fortement la capacité d’agir : impossible de faire venir un expert, de réclamer des travaux à un propriétaire absent, ou d’avancer les frais d’un avocat en cas de litige.
Par ailleurs, les services de la mairie de secteur ou ceux de l’urbanisme n’ont pas les moyens de contrôler tous les logements. Beaucoup de propriétaires bailleurs profitent de ce vide pour continuer à louer des appartements indignes, parfois à des personnes étrangères ou sans statut, qui ne peuvent ou n’osent pas se plaindre.
Conséquences sanitaires et sociales graves
L’exposition prolongée à un logement insalubre, même sans signes visibles, provoque des troubles de santé majeurs : asthme, eczéma, dépression, fatigue chronique, problèmes de sommeil, maladies infectieuses liées à l’humidité, sans parler du risque d’accidents domestiques (incendie, chute, électrocution).
Les enfants sont les premières victimes : selon une étude conjointe de l’ARS PACA et de l’INSEE, plus d’un tiers des enfants hospitalisés pour troubles respiratoires à Marseille vivent dans des logements dégradés ou humides.
Sur le plan social, cela entraîne un sentiment d’abandon, une perte de confiance dans les institutions, un isolement progressif des personnes âgées, et parfois une résignation complète chez certains habitants.
L’avenir : entre mobilisation citoyenne et lenteur institutionnelle
Des initiatives locales commencent à émerger : associations de quartier, collectifs de locataires, juristes bénévoles. Des plateformes permettent désormais de signaler anonymement des logements dégradés.
Cependant, les réhabilitations sont lentes, souvent freinées par des lenteurs administratives, des conflits juridiques avec les propriétaires, ou l’absence de coordination entre les différents services de l’État et de la Ville de Marseille.
La mise en place d’un permis de louer, expérimentée dans certains arrondissements, pourrait permettre à la Ville de mieux contrôler la qualité des logements avant toute location. Mais cette mesure, encore marginale, reste insuffisante sans une politique ambitieuse de rénovation massive.
Reconnaître, comprendre et agir
Ce que l’on ne voit pas peut être plus dangereux que ce qui saute aux yeux. L’insalubrité cachée à Marseille n’est pas un fait divers ni une fatalité. C’est une réalité structurelle, liée à l’histoire, à la pauvreté, au manque de contrôle et à l’oubli de certains territoires.
Reconnaître les quartiers les plus touchés, c’est un premier pas vers une action plus ciblée. Noailles, Kallisté, La Castellane, Le Panier ou encore Saint-Louis ne doivent pas rester des noms associés à la misère urbaine. Ils peuvent devenir les symboles d’une reprise en main, d’une revalorisation par et pour les habitants.
Sources citées
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INSEE, Recensement 2022, Fichiers détaillés par arrondissement.
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Agence Régionale de Santé PACA, Rapport santé-logement 2023.
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Rapport de la Cour des Comptes sur la politique de l’habitat indigne à Marseille, 2021.
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Observatoire National de la Précarité Énergétique (ONPE), Indice de performance énergétique des logements en PACA, 2022.