Droits des locataires en situation Diogène : protection ou responsabilité ?
Comprendre le syndrome de Diogène et ses conséquences sur le logement
Le syndrome de Diogène désigne un trouble du comportement caractérisé par une négligence extrême de l’hygiène personnelle et de l’environnement domestique. Cette pathologie entraîne généralement un encombrement sévère du logement, l’accumulation compulsive d’objets ou de déchets, ainsi qu’un isolement social marqué. Bien qu’il ne soit pas officiellement classé comme une maladie dans les classifications psychiatriques comme le DSM-5, le syndrome de Diogène est reconnu par les professionnels de la santé comme un symptôme révélateur d’autres pathologies mentales telles que les troubles obsessionnels, les psychoses ou la dépression sévère.
À Marseille comme ailleurs, ce type de situation affecte non seulement les conditions de vie du locataire, mais aussi celles du voisinage et pose de réels problèmes juridiques et sanitaires. Dès lors, une question cruciale se pose : le locataire atteint du syndrome de Diogène est-il protégé par la loi ou tenu responsable des conséquences de son comportement sur son logement ?
Le cadre légal du logement en France : entre droit au logement et obligation d’entretien
Le droit fondamental au logement
En France, le droit au logement est un principe constitutionnel reconnu par la loi n° 90-449 du 31 mai 1990, renforcé par le droit au logement opposable (DALO) depuis 2007. Cela signifie que toute personne résidant sur le territoire français a le droit d’accéder à un logement décent, stable et adapté à sa situation.
Toutefois, ce droit est conditionné par certaines obligations, notamment en matière de respect des règles de bon usage du logement, d’hygiène, de sécurité et de respect du voisinage. Cela inclut l’obligation pour tout locataire de jouir paisiblement des lieux et de ne pas nuire à autrui, comme stipulé dans l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 sur les rapports locatifs.
L’obligation d’entretien et de restitution du logement
Légalement, un locataire a l’obligation de maintenir le logement dans un état d’usage raisonnable. Il doit :
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effectuer les réparations locatives courantes (fuites, entretien des sols, etc.),
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éviter la dégradation volontaire ou négligente du bien,
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restituer le logement en bon état à la fin du bail, sauf usure normale.
En cas de non-respect, le bailleur peut engager une procédure d’expulsion ou demander des indemnités pour remise en état. C’est là que le syndrome de Diogène complique l’application de ces principes, car il soulève la question de la responsabilité du locataire lorsqu’un trouble mental affecte sa capacité à entretenir son logement.
Le syndrome de Diogène face à la responsabilité juridique du locataire
La responsabilité civile du locataire
En théorie, un locataire en situation Diogène reste responsable des dommages causés au logement et à l’immeuble. L’article 1732 du Code civil stipule qu’il est présumé responsable des dégradations, sauf s’il peut prouver qu’elles sont dues à la force majeure ou à un tiers.
Mais dans le cas d’une personne atteinte de troubles psychiatriques, cette responsabilité peut être atténuée ou écartée, notamment si elle est reconnue comme n’étant pas en mesure de discernement (article 414-1 du Code civil).
En pratique, cela signifie que :
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Si le locataire est juridiquement capable, il est responsable des dégradations causées par l’accumulation, les nuisances olfactives ou les incendies liés au désordre.
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Si une expertise psychiatrique démontre un trouble mental altérant son jugement, sa responsabilité peut être limitée voire inexistante.
Le rôle des assurances
Les dégâts causés par le syndrome de Diogène sont rarement couverts par les assurances multirisques habitation, sauf si l'assuré a déclaré un trouble psychiatrique connu, ce qui est peu fréquent. Les bailleurs, quant à eux, peuvent faire appel à leur propre assurance habitation ou souscrire une garantie « loyers impayés et dégradations » (GLI).
La protection du locataire : entre droit à la dignité et intervention sociale
Une approche sanitaire et sociale avant tout
Avant de considérer l’expulsion, les autorités et bailleurs doivent activer les dispositifs sociaux existants. Le syndrome de Diogène étant souvent lié à une grande vulnérabilité (isolement, vieillesse, handicap), la protection de la personne passe en priorité par :
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un signalement au Centre Communal d’Action Sociale (CCAS),
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l’intervention d’un travailleur social,
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une demande d’expertise psychiatrique,
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une saisine du juge des tutelles pour la mise sous curatelle ou tutelle si nécessaire.
Le maire, dans le cadre de ses pouvoirs de police sanitaire (article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales), peut aussi ordonner une intervention de nettoyage d’office si la salubrité publique est menacée.
L’équilibre entre protection et respect des droits fondamentaux
Même en cas de logement totalement insalubre, le locataire reste titulaire de droits : toute mesure coercitive (expulsion, évacuation, hospitalisation) doit respecter la procédure contradictoire et préserver la dignité humaine.
Le Conseil Constitutionnel a rappelé à plusieurs reprises l’importance de cet équilibre entre ordre public et libertés individuelles, notamment dans sa décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995.
Les recours du bailleur face à une situation Diogène
Signalement et intervention administrative
Lorsque le bailleur constate une situation Diogène, il doit procéder méthodiquement :
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Tenter une médiation avec le locataire.
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Notifier les désordres par courrier recommandé.
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Alerter les autorités sanitaires (mairie, ARS).
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Documenter les nuisances (photos, témoignages).
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Solliciter un constat d’huissier.
Une procédure d’insalubrité peut être déclenchée via l’ARS ou la préfecture si la situation met en péril la santé publique.
Action en justice et expulsion
En dernier recours, le bailleur peut saisir le tribunal judiciaire pour demander :
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la résiliation du bail pour manquement à l’obligation d’entretien,
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l’expulsion du locataire,
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le remboursement des frais de remise en état.
Cependant, les juges tiennent compte de l’état de santé mentale du locataire. S’il est prouvé qu’il souffre d’un trouble altérant son discernement, l’expulsion peut être suspendue ou accompagnée d’une mise sous protection juridique.
Le rôle central des acteurs sociaux et médicaux
L’intervention des services sociaux
À Marseille, plusieurs dispositifs peuvent intervenir en cas de logement insalubre :
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Les équipes mobiles de psychiatrie de l’AP-HM,
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Le Pôle Santé Mentale de la ville,
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Les assistants sociaux du Département ou de la Métropole,
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Les associations spécialisées (Croix-Rouge, Fondation Abbé Pierre...).
Le Plan Départemental d’Action pour le Logement des Personnes Défavorisées (PDALPD) intègre également la prise en charge de personnes en situation Diogène.
L’importance de l’expertise psychiatrique
Dans les cas complexes, un médecin psychiatre peut être mandaté pour évaluer la capacité du locataire à gérer son logement. Si le trouble est avéré, cela peut déboucher sur :
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une hospitalisation (volontaire ou sous contrainte),
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une mesure de sauvegarde de justice,
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une curatelle renforcée,
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voire une tutelle complète.
État des lieux statistiques et réalités locales
Selon l’INSEE (2023), environ 1,2 % des ménages français vivent dans des conditions de logement jugées très dégradées ou insalubres, et environ 300 000 personnes seraient concernées par des troubles apparentés au syndrome de Diogène, majoritairement des personnes âgées vivant seules.
À Marseille, les quartiers populaires comme les 3e, 14e et 15e arrondissements sont particulièrement concernés par l’habitat dégradé. La Ville a lancé plusieurs campagnes d’identification des logements insalubres dans le cadre du Plan de lutte contre l’habitat indigne, mais les moyens restent limités face à la complexité des situations individuelles.
Prévenir plutôt que guérir : les clés d’une gestion humaine et efficace
La coordination entre services
Face à une situation Diogène, seule une approche coordonnée permet d’éviter les dérives : stigmatisation, expulsion brutale, hospitalisation sans suivi. Il est crucial de réunir autour de la table :
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le bailleur,
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les services de santé,
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les acteurs sociaux,
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les proches ou représentants du locataire.
La sensibilisation des professionnels
Les professionnels de l’immobilier, du médico-social et les agents municipaux doivent être formés à repérer les signes précoces : logement peu accessible, forte odeur, comportement évitant, factures impayées, etc. Une détection rapide permet d’éviter que la situation ne devienne dramatique.
Vers un équilibre entre droit, responsabilité et humanité
Le locataire en situation Diogène se situe à la frontière entre protection et responsabilité. Si la loi prévoit des obligations précises pour maintenir le logement en bon état, elle reconnaît également les situations de vulnérabilité extrême comme atténuantes, voire exculpatoires.
À Marseille, comme dans d’autres villes françaises, les situations Diogène appellent une réponse humaine, coordonnée et respectueuse du droit. Le défi est de taille : protéger la personne, préserver le logement, maintenir la paix sociale et garantir la salubrité publique… sans pour autant sombrer dans la répression ni la négligence.
Sources : INSEE, Code civil, Code de la santé publique, Code général des collectivités territoriales, Loi du 6 juillet 1989, Conseil Constitutionnel, Ville de Marseille, ARS PACA, Ministère de la Justice.