Le syndrome de Diogène et la psychiatrie : quelle prise en charge à Marseille pour aider les personnes en grande détresse ?
Comprendre le syndrome de Diogène : une problématique humaine avant tout
Le syndrome de Diogène n’est pas une simple question de désordre ou de négligence. Il s’agit d’un trouble complexe aux multiples facettes, qui englobe des dimensions psychiatriques, sociales et humaines. Derrière les images choquantes d’appartements envahis par les déchets, de conditions d’hygiène extrêmes ou d’un isolement total, il y a une personne en souffrance profonde. Le terme syndrome de Diogène, popularisé dans les années 1970, ne fait d’ailleurs pas référence à une pathologie reconnue officiellement dans les classifications médicales internationales comme le DSM-5 ou la CIM-10, mais il est largement utilisé par les professionnels de santé pour désigner une constellation de symptômes graves.
À Marseille, comme ailleurs, les cas de syndrome de Diogène posent des défis majeurs pour les proches, les voisins, les travailleurs sociaux, mais aussi et surtout pour les équipes psychiatriques et les structures de soins. Ce trouble survient généralement chez des personnes âgées, isolées, souvent en perte d’autonomie psychique, et dont le refus d’aide est aussi tenace que leur déni de la réalité.
Quels sont les signes caractéristiques du syndrome de Diogène ?
Les signes les plus visibles et les plus frappants du syndrome de Diogène sont les suivants :
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Une négligence extrême de l’hygiène corporelle et de l’environnement : la personne vit dans un logement insalubre, refuse de se laver ou de jeter les déchets.
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Un isolement social total ou quasi total : la personne coupe progressivement les liens sociaux, ne répond plus aux appels, ne reçoit plus personne.
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Une tendance à l’accumulation pathologique (syllogomanie) : les objets, journaux, vêtements, parfois les aliments en décomposition s’empilent sans ordre.
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Un refus de toute aide extérieure, même en situation de danger.
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Un déni profond de la situation : malgré des conditions de vie extrêmes, la personne n’a pas conscience du problème ou le nie avec force.
Ce tableau clinique est souvent associé à des pathologies psychiatriques sous-jacentes : troubles cognitifs (démence, maladie d'Alzheimer), schizophrénie, troubles obsessionnels compulsifs, états délirants chroniques, dépression sévère ou troubles de la personnalité. Les causes peuvent aussi être liées à un événement de rupture : décès d’un proche, séparation, perte d’emploi, choc émotionnel violent.
Marseille : un contexte urbain et social propice à l’aggravation de ces situations
Selon l’INSEE, Marseille compte plus de 70 000 personnes de plus de 75 ans (recensement 2021), dont une part importante vit seule. Les quartiers Nord sont particulièrement touchés par la précarité, l’isolement et le manque d’accès aux soins. Le contexte marseillais, marqué par des inégalités sociales, un tissu associatif souvent surchargé, et une offre médicale saturée, rend encore plus difficile la détection et la prise en charge des personnes atteintes du syndrome de Diogène.
Les situations sont souvent signalées par des voisins inquiets ou par des interventions des services d’hygiène de la ville. Cependant, l’intervention ne peut pas être uniquement technique (nettoyage, dératisation, évacuation des encombrants). Sans prise en charge psychiatrique, le problème se reproduira. Et c’est bien là le cœur du dilemme : comment intervenir auprès de quelqu’un qui refuse toute aide, qui vit reclus, dans le déni, sans tomber dans la maltraitance ou la stigmatisation ?
Une prise en charge psychiatrique indispensable mais délicate
La prise en charge psychiatrique des personnes atteintes du syndrome de Diogène à Marseille repose sur plusieurs piliers :
1. Le repérage et l’alerte
Les premiers signaux d’alerte proviennent souvent :
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Des services sociaux (CCAS, travailleurs sociaux)
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Des voisins (plaintes pour odeurs, nuisibles, fuites d’eau…)
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Des bailleurs sociaux ou des syndics d’immeubles
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Des secours (pompiers, SAMU, police) lors d’interventions d’urgence
Ce repérage est fondamental. Mais il est également délicat car la personne concernée refuse généralement tout contact. L’interaction initiale doit donc être respectueuse, progressive, sans brusquerie. Les équipes mobiles psychiatriques (EMPP, équipes médico-psychologiques de secteur, PASS psychiatriques) peuvent alors intervenir à domicile.
2. L’évaluation médico-psychiatrique
L’évaluation médicale est indispensable mais rarement spontanément acceptée. Elle repose sur une approche empathique et une observation patiente. Elle vise à :
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Rechercher des signes de troubles mentaux sévères
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Évaluer le niveau de discernement de la personne
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Identifier une éventuelle perte d’autonomie ou un trouble neurodégénératif
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Vérifier les capacités de gestion de soi et du logement
Si un trouble psychiatrique grave est diagnostiqué et que la personne est en danger, une hospitalisation sans consentement peut être envisagée (soins psychiatriques à la demande d’un tiers ou en péril imminent).
3. L’hospitalisation psychiatrique : un recours en dernier ressort
L’hospitalisation en psychiatrie, souvent au CH Valvert, à l’hôpital Edouard Toulouse ou à Sainte-Marguerite, n’est possible que dans un cadre légal très strict (Loi du 5 juillet 2011). Elle est justifiée en cas de :
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Danger pour la personne ou pour autrui
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Altération grave du jugement ou du comportement
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Situation d’insalubrité mettant en péril la santé
Mais l’hospitalisation n’est qu’un point de départ. Elle permet souvent une mise à l’abri, une évaluation globale, et parfois une reprise de traitement. Elle ne règle pas les causes profondes, ni ne garantit que la personne acceptera ensuite de l’aide une fois retournée chez elle.
4. L’accompagnement sur le long terme : la clé de la stabilisation
Une fois la crise passée, commence le travail de fond. Cela implique :
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Un suivi psychiatrique régulier (par CMP ou psychiatre libéral)
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La mise en place de mesures sociales : tutelle/curatelle, aide à domicile, portage de repas
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Une aide à la réhabilitation du logement, en lien avec les services d’hygiène et les associations
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Une coordination entre tous les acteurs (psychiatrie, services sociaux, mairie, associations, proches)
Marseille dispose de plusieurs CMP (centres médico-psychologiques), de dispositifs PASS psychiatriques dans les hôpitaux, et de structures d’accompagnement comme Habitat Alternatif Social, la Fondation Abbé Pierre, ou l’association Le Point de Bascule.
Le rôle central des proches et de l’entourage
Souvent, la famille ou les proches sont désemparés, épuisés, parfois même rejetés par la personne malade. Pourtant, leur rôle est crucial. Ce sont eux qui peuvent alerter, témoigner de l’évolution, soutenir les décisions médicales ou judiciaires. Mais ils doivent aussi être aidés et soutenus, car vivre avec une personne atteinte du syndrome de Diogène est psychologiquement éprouvant.
Des groupes de soutien existent à Marseille, animés par des assistantes sociales ou des psychologues. Des dispositifs comme les aidants familiaux ou les cafés des aidants (Maison des aidants, APA 13) permettent d’échanger, de souffler, d’être accompagné dans ces parcours souvent chaotiques.
Les limites de l’action : une réponse systémique encore insuffisante
Malgré les bonnes volontés, la réponse à Marseille reste parfois insuffisante :
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Manque de lits psychiatriques : les hôpitaux sont souvent saturés, les hospitalisations courtes.
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Désert médical en psychiatrie libérale : très peu de psychiatres acceptent de nouveaux patients.
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Faibles moyens des services sociaux municipaux : ils croulent sous les dossiers.
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Absence de solutions d’hébergement temporaire pour des personnes désocialisées mais non hospitalisables.
La coordination reste un point faible. Trop souvent, chaque acteur agit isolément. Une action intégrée, avec des référents uniques, des dossiers partagés, des protocoles communs entre santé, hygiène, logement, et justice, manque cruellement.
Et le nettoyage dans tout ça ? Une étape mais jamais la solution
Le nettoyage du logement, souvent spectaculaire, est parfois vu comme la seule issue. Mais sans traitement psychiatrique, sans réhabilitation, sans accompagnement, tout recommence. Il faut le dire clairement : nettoyer sans soigner, c’est condamner à l’échec.
À Marseille, certaines entreprises sont spécialisées dans ces interventions extrêmes (appelées débarras Diogène ou nettoyage insalubre), mais agissent souvent en lien avec les psychiatres ou les services sociaux. Leur intervention peut aider, si elle est accompagnée d’un vrai plan de soins et d’un soutien durable. Sinon, elle n’est qu’un pansement sur une plaie béante.
Pour une société plus humaine : sortir de la stigmatisation
Le syndrome de Diogène renvoie à des peurs collectives : saleté, folie, isolement, perte de contrôle. Mais il parle surtout de notre capacité, en tant que société, à tendre la main à ceux qui sombrent, à voir derrière le chaos apparent une détresse humaine, à bâtir des ponts plutôt que des murs.
À Marseille, ville solidaire mais confrontée à de lourds défis sociaux, cette question est particulièrement sensible. La psychiatrie, les services publics, les familles, les voisins, tous ont un rôle à jouer. Il ne s’agit pas de tout régler, mais de ne pas détourner les yeux, de ne pas abandonner, de construire des réponses patientes, coordonnées, respectueuses de la dignité des personnes.
Mieux comprendre pour mieux aider
Le syndrome de Diogène n’est ni un caprice, ni un choix de vie marginal. C’est un trouble grave, souvent enfoui sous des années de souffrance psychique. À Marseille, comme ailleurs, sa prise en charge doit être globale, humaine, respectueuse, et surtout centrée sur la personne.
Il ne s’agit pas seulement de nettoyer un appartement, mais de reconstruire un équilibre, une dignité, une existence. Cela demande du temps, des moyens, et une société qui ne laisse pas les plus fragiles sombrer dans l’oubli.
Sources :
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INSEE Marseille – Dossier démographique 2021
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Haute Autorité de Santé – Recommandations pratiques sur la prise en charge du syndrome de Diogène
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CH Valvert Marseille – Pratiques de soins psychiatriques à domicile
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Revue Santé Mentale, 2022 – Le syndrome de Diogène : état des lieux clinique et perspectives de soins
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Observatoire régional de la santé PACA – Isolement et vieillissement en région marseillaise